Gazette littéraire sur les chats! par Laurence
Publié le 22 Janvier 2013
Les esclaves
Au commencement, Dieu créa le chat à son image. Et, bien entendu, il trouva que c'était bien. Et c'était bien, d'ailleurs. Mais le chat était paresseux. Il ne voulait rien faire.
Alors, plus tard, après quelques millénaires, Dieu créa l'homme. Uniquement dans le but de servir le chat, de lui servir d'esclave jusqu'à la fin des temps. Au chat, il avait donné l'indolence et la lucidité; à l'homme, il donna la névrose, le don du bricolage et la passion du travail. L'homme s'en donna à coeur joie. Au cours des siècles, il édifia toute une civilisation basée sur l'invention, la production et la consommation intensive. Civilisation qui n'avait en réalité qu'un seul but secret: offrir au chat le confort, le gîte et le couvert.
C'est dire que l'homme inventa des millions d'objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement les quelques objets indispensables au bien être du chat : le radiateur, le coussin, le bol, le plat de sciure, le pêcheur breton, le tapis, la moquette, le panier d'osier, et peut-être aussi la radio puisque les chats aiment bien la musique.
Mais de tout cela, les hommes ne savent rien. A leurs souhaits. Bénis soient- ils. Et ils croient l'être. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes des chats.
JACQUES STERNBERG
« Contes glacés » - Marabout
Poème
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.
Cette voix qui perle et qui filtre,
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a plus besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux!
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
COMMENT APPELER SON CHAT
Trouver un nom de chat, c’est un art délicat.
C’est beaucoup plus, croyez-moi, qu’un simple passe-temps.
Et n’allez pas penser que je deviens gaga
Si je vous dis qu’un chat a TROIS noms différents.
Le premier est le nom qu’il entend tous les jours :
Que ce soit Pierre, Auguste, Alonzo, Brindamour,
Jonathan ou Victor, Alexandre ou Julien.
Tous des noms qui conviennent au train-train quotidien.
Fantaisistes, charmants, d’autres sont des noms rares.
Si les uns sont pour eux, les autres sont pour elles,
Comme Platon, Électre, Admète ou Jézabel.
Ce sont des noms sérieux pour des chats bien à part.
Mais un chat a besoin d’un nom à lui tout seul,
Un nom personnel, imposant, majestueux.
Sinon, comment pourrait-il redresser la queue,
Hérisser ses moustaches, et se voir d’un bon œil?
Des noms de cette sorte, il y en a des tas,
Que ce soit Munkustrap, Quaxo, Coricopat,
Ou bien Geléorum ou Bombalurina.
De tels noms sont si propres qu’ils ne sont qu’à un chat.
Mais par-dessus tout ça, il en existe un autre,
Un nom que jamais vous ne sauriez découvrir,
Pas même si vous aviez tous les dons des apôtres.
Seul le chat le connaît et ne saurait le dire.
Quand vous voyez un chat plongé dans ses « pensées »,
La raison, c’est bien simple, est sa quête insondable :
Il s’adonne en esprit au plaisir de songer
À l’image de l’idée de la pensée sans fond
De son nom mineffable, ineffable et affable,
Son indicible et profond et singulier Nom.
T.S. Eliot - The Naming of Cats